A Port-au-Prince, il ne se passe plus un jour sans que des familles ne pleurent un proche fauché par un projectile errant. Une fillette sur un balcon, un jeune vendeur de rue, une mère traversant la route, ou quelqu’un dans sa maison. Autant de vies arrachées au hasard d’une trajectoire meurtrière. Ce n’est plus une exception. C’est devenu la norme.
Ce phénomène qu’on aurait cru réservé aux zones de guerre, est aujourd’hui, une triste banalité dans la capitale haïtienne. Il ne s’agit plus seulement d’affrontements entre gangs : c’est toute une population prise en otage d’une insécurité rampante, d’une absence totale d’autorité de l’Etat et d’un abandon qui confirme au mépris.
Chaque projectile errant est en réalité un message clair : il n’y a ni police capable de protéger, ni justice pour punir, ni Etat pour réguler. Ce sont les armes qui gouvernent et la peur qui organise la vie quotidienne. Les rues se vident, les écoles ferment, les commerces fonctionnent en dents de scie. Vivre à Port-au-Prince, c’est jouer chaque jour à la roulette russe.
Mais ce drame, n’est pas que sécuritaire. Il est profondément politique. Car il relève de l’incapacité des dirigeants successifs à construire une société où la vie humaine a de la valeur. Les autorités de transition, le Conseil Présidentiel de Transition, les forces internationales attendues ou promises, tous semblent paralysées, ou pire, insensibles. Pendant ce temps, les enfants meurent, les femmes hurlent, les quartiers s’effondrent.
Que vaut un pouvoir qui ne peut même pas garantir le droit de circuler sans mourir ? Où sont les plans d’urgence ? Où sont les enquêtes ? Où est le sursaut ?
A force de banaliser l’insoutenable, nous risquons de perdre plus que des vies : nous risquons de perdre notre mounité. Il est temps de nommer les choses, de dénoncer les silences complices et d’exiger des comptes. Trop de sang a coulé, trop d’innocents sont tombés.
Dans cette tragédie urbaine, l’ordinaire est devenu funèbre. L’histoire jugera durement ceux qui par lâcheté, négligence ou calcul, ont laissé cette ville sombrer dans le néant. Il est encore temps, peut-être, de changer le cours des choses. Mais il faut agir –vite, fort et juste-avant que le funèbre ne devienne irréversible.
Edson Junior Ronay