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La « double dette » n’ est pas  » morale » mais financière

Les députés français ont voté, jeudi 5 juillet, par 59 voix pour et  9 contre, une résolution « visant à la reconnaissance, au remboursement et à la réparation par la France de la « double dette ». Dans cette résolution ils exhortent le gouvernement « à reconnaître officiellement et solennellement l’injustice infligée » mais aussi à « prendre en considération des demandes de remboursement et à étudier le processus de restitution de la « double dette » imposée à Haïti.» 

Par ce vote, les représentants du peuple français ont pris une position aux antipodes de l’attitude « prudente » de la France vis-à-vis de la question de la « double dette ». En effet,  la carte de la « dette morale » a été jouée dès le 7 avril  2003, date à laquelle l’ex-président Jean Bertrand Aristide a soulevé pour la première fois ce dossier. « Que de belles écoles, de belles universités, de beaux hôpitaux allons-nous bâtir pour les enfants ! », avait promis l’ancien locataire du Palais National.

En réaction, le gouvernement français a créé une commission à la tête de laquelle il a nommé le philosophe Régis Debray. Ce dernier a rejeté, dans son rapport intitulé « Haïti et la France », l’aspect financier de la dette tout en soutenant qu’elle était morale. L’ex-premier ministre haïtien, Gérard Latortue, en visite en France, avait même affirmé, dans la cour de l’Élysée, avoir renoncé à la demande de remboursement.     

« Le lapsus de la « dette » du président François Hollande »

Deux jours avant une visite officielle en Haïti, il a tenu un discours contre l’esclavage, dimanche 10 mai, en Guadeloupe. «  Quand je viendrai à Haïti, j’acquitterai à mon tour la dette que nous avons », a-t-il assuré.  « Dette morale bien sûr », a rapidement tenté de corriger l’Elysée.  

Arrivé à Port-au-Prince, le chef de l’Etat a corrigé ses propos, qui avaient créé plus tôt de vives réactions du côté  haïtien. « Une dette morale, non financière », a-t-il finalement précisé. 

« Tentative désespérée »   

Alors que le président Jean Bertrand Aristide ébranlait la France en évoquant la «rançon de l’indépendance », 130 intellectuels haïtiens ont rejeté cette demande pourtant légitime. Ils sont allés si loin qu’ils ont qualifié le remboursement de la dette de « Tentative désespérée ».

En plus de ces écrivains, des opposants politiques, des organisations de la société civile dont les organisations des « droits humains » ont épousé le narratif de la commission Debray. Par exemple,  l’ex-premier ministre, Claude Joseph, en faisait partie. Dans une correspondance qu’il a adressée au ministre américain des Affaires étrangères, Marco Rubio, ce vendredi 6 juin, M. Joseph a souligné l’impact de cette lourde dette sur la situation sécuritaire du pays sans toutefois saluer le vote de l’assemblée nationale qui s’est tenu le jeudi 5 juin.    

« Un néo- impérialisme financier »

La Fondation mémoire pour l’esclavage, présidé par l’ancien premier ministre français, français Jean Marc Ayrault, dénonce l’ordonnance du Roi Charles X par laquelle la France a reconnu « hypocritement l’indépendance » de son ex-colonie en échange d’une somme stratosphérique de 150 millions de Francs. De plus, la fondation qualifie l’acte unilatéral du de la France de « néo-impérialisme financier ». En plus de cette somme, qui représentait cinq année du PIB du pays, ce dernier accordait à la France un tarif commercial privilégié. Par ailleurs, la jeune républicaine a dû rembourser les emprunts et intérêts auprès des banques françaises. Les derniers remboursements ont été effectués jusqu’en 1952. 

La Fondation a publié le 25 mars 2025  une note intitulée : « la double dette d’Haïti (1825-2025)-Une question actuelle » dans laquelle elle exhorte la France à s’engager dans la réparation de son passé esclavagiste. 

Alors que plusieurs rapports ont été publiés sur la « double dette », le président Emmanuel, pour sa part, a annoncé, a l’occasion du bicentenaire de l’évènement, 17 avril 2025,  la création d’une commission franco-haïtienne chargée d’explorer la question et ses impacts sur Haïti.

Certains observateurs voient jugent que cette commission, qui sera co-présidée par l’historien français, Yves Saint-Geours et l’historienne haïtienne, Gusti-Klara Gaillard Pourchet, est une stratégie dilatoire au même titre que la commission Régis Debray. En revanche, d’autres affirment que, grâce au vote de la résolution de l’Assemblée nationale, ce jeudi 5 juin, le dossier du remboursement atteint un point de non-retour.   

Me Verly Sylvestre, Av.

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